3 CORS
1. INT. CHAMBRE DU ROI ET DE LA REINE ‒ MATIN
Arthur est au lit, réveillé. Guenièvre, en chemise de nuit, est assise sur un tabouret et commence à se coiffer. Angharad rentre.
- Angharad (s'approchant de la reine pour la coiffer)
- Je signale à monsieur qu'il n'aura pas droit à son petit déjeûner au lit comme d'habitude.
- Arthur
- Hein ?
- Angharad (commençant à coiffer la reine, tournant le dos au roi)
- Que monsieur demande à madame.
- Arthur
- C'est quoi cette histoire ?
- Guenièvre (hésitant)
- C'est parce que... heu... Ça fait trop de miettes, il y en a plein les draps. Donc dorénavant vous irez déjeûner dans la pièce d'à côté.
- Arthur
- Trop de miettes ? Et alors ? On a des larbins pour changer les draps ! En plus je vous signale qu'au départ, c'était votre idée, le petit déjeûner au lit. Me dites pas que vous avez changé d'avis !
- Angharad (toujours tournant le dos au roi)
- Peut-être que madame s'est rendue compte des inconvénients, n'est-ce pas ?
- Guenièvre
- Heu... Voilà, c'est ça, en fin de compte c'était une mauvaise idée.
- Angharad
- Mais à partir de maintenant, ça va changer.
OUVERTURE
2. INT. CHAMBRE DU ROI ET DE LA REINE ‒ MATIN
La discussion se poursuit.
- Arthur
- Holà, je suis le roi, si je vous donne l'ordre de me servir le petit-déjeûner au lit, vous obéissez !
- Angharad
- Sauf que je suis la suivante de la reine, pas du roi.
- Guenièvre
- C'est vrai, vous lui donnez toujours des ordres, mais c'est à moi de le faire.
- Arthur
- Ah c'est comme ça ? Angharad, je vous offre une promotion : vous devenez suivante... du roi !
- Guenièvre
- Ah non, vous allez pas me l'enlever !
- Angharad
- Suivante du roi, c'est mieux payé que suivante de la reine ?
- Arthur
- Heu, non, c'est juste que vous m'obéissez.
- Angharad
- Alors je décline votre offre.
Arthur, contrarié, se lève du lit et part dans la petite salle d'à côté.
- Arthur (quittant la chambre, boudeur)
- C'est bon, j'ai compris, j'ai même plus droit à mon petit-déjeûner, c'est bien la peine d'être le roi...
- Angharad (après avoir attendu qu'Arthur sorte de la pièce)
- Vous voyez, il suffit de lui tenir tête.
- Guenièvre
- Ben oui mais là il va me faire la gueule toute la journée.
- Angharad
- Pour ce que ça change.
- Guenièvre (réalisant)
- C'est vrai...
- Angharad
- De toute façon c'est plus clair comme ça : j'ai une patronne, je n'ai d'ordres à recevoir que d'elle. C'est logique, non ?
- Guenièvre
- Heu, oui, je suppose.
- Angharad
- Sinon ça me donne trop de boulot : en plus de m'occuper de vous, il faut que je m'occupe de votre mari. Ça va cinq minutes !
- Guenièvre (réalisant)
- Ah, c'est pour ça...
3. INT. SALLE À MANGER ‒ MIDI
Perceval mange à la table du roi.
- Arthur
- Je vous ai encore invité ce midi. C'est quand même une indication de la considération que je vous porte !
- Perceval
- Ben non, vu que je comprends pas cette phrase !
- Arthur
- Mais vous comprenez que j'ai de la considération pour vous ?
- Perceval
- Oui, heu... En fait non.
- Arthur
- Ah mais faites un effort !
- Perceval
- Est-ce que ça veut dire que je peux vous demander un conseil d'ami ?
- Arthur (méfiant)
- Heu... ça dépend. À propos de quoi ?
- Perceval
- À propos d'Angharad.
- Arthur
- Ah non ! Je vous ai déjà dit : vous êtes assez grand pour lui faire la cour tout seul. Angharad et vous, ça ne me regarde pas, c'est vos affaires.
- Perceval
- En fait ce serait plutôt un renseignement.
- Arthur
- Un renseignement ?
- Perceval
- À propos d'Angharad.
- Arthur
- Alors allez-y, de toute façon je suppose qu'on n'y coupera pas. Mais attention, je ne suis pas là pour vous donner des conseils de séduction !
- Perceval
- J'ai bien compris. Non, ce que j'aurais voulu savoir, c'est s'il est vrai qu'Angharad se lève tôt chaque matin.
- Arthur
- Ben... oui. C'est la suivante de me femme, elle l'aide à s'habiller, se toiletter, se coiffer, tout ça, donc elle doit être prête avant notre lever. Et c'est vrai que ma femme est matinale.
- Perceval
- Ah, merde... Et elle travaille même le dimanche ?
- Arthur
- Ben oui : ma femme se lève même le dimanche.
- Perceval
- Mais un peu plus tard, quand même ?
- Arthur
- Ah oui. Dimanche, il y a la messe de Père Blaise, mais c'est en fin de matinée, donc en effet, Angharad peut se lever plus tard. Mais pourquoi vous me demandez ça, vous comptez la voir chaque matin ?
- Perceval
- Non, la nuit.
- Arthur
- La nuit ? Vous voulez dire...
- Perceval
- Sire, ça me gène...
- Arthur
- OK, je comprends. Et puis c'est vrai que je suis sensé ne pas me méler de vos affaires de cœur.
- Perceval
- En fait, avant-hier... Ou il y a trois jours, mais ça dépend si on compte les journées à partir de minuit ou à partir du matin... Cette nuit là, donc, j'ai voulu rendre visite à Angharad.
- Arthur
- Dans sa chambre ?
- Perceval
- Ben oui. Il fallait pas ?
- Arthur
- Non mais vous faites ce que vous voulez !
- Perceval
- Rassurez-vous, Sire, je ne vais pas vous ennuyer avec les détails, je voulais juste vous parler de la difficulté.
- Arthur
- Non mais je pense avoir deviné ce que vous étiez venu faire, me prenez pas pour une bille.
- Perceval (impressionné)
- Vous savez ? C'est vrai que vous êtes rusé. Bref, j'ai toqué à sa fenête...
- Arthur
- Vous êtes rentré par sa fenêtre ? Pour la discrétion ?
- Perceval
- Parce que c'est plus romantique !
- Arthur
- Ah bon ?
- Perceval
- J'ai toqué à sa fenêtre, et elle m'a répondu comme quoi c'était hors de question parce qu'elle devait dormir, soi disant qu'elle se lève tôt demain matin.
- Arthur
- Du coup c'est vrai : c'était en semaine, elle devait se lever tôt.
- Perceval
- C'est quand même pas de ma faute si la pleine lune tombe en semaine !
- Arthur
- Vous avez besoin de faire ça à la pleine lune ?
- Perceval
- Oui, pour le romantisme, pour avoir un clair de lune...
- Arthur
- Mais d'où vous sortez ces idées ?
- Perceval
- C'était dans une chanson de troubadour.
- Arthur
- Ah d'accord, je comprends...
- Perceval
- Ça m'a donné des idées. Parce que si je fais rien, notre histoire, elle va pas avancer. Donc là, je prends des initiatives ‒ et je sais ce que ça veut dire, vous m'avez expliqué, c'est resté.
- Arthur
- Bien, bien... Donc vous allez remettre ça demain soir ?
- Perceval
- Pourquoi demain soir ?
- Arthur
- On est vendredi, donc demain samedi : demain soir Angharad pourra dormir plus longtemps.
- Perceval
- Ah ouais ! Comme quoi les jours de la semaine, ça n'a pas l'air, mais en fait ça sert à quelque chose !
4. INT. CHAMBRE DU ROI ET DE LA REINE ‒ SOIR
Arthur et Guenièvre sont au lit, chacun lisant un parchemin. Guenièvre interrompt sa lecture.
- Guenièvre
- Je voudrai m'excuser pour ce matin, c'est ma bonniche qui m'a monté le bourrichon.
- Arthur
- Ah oui, ce matin. C'était pas votre idée, alors ?
- Guenièvre
- Non, c'est Angharad. Mais j'ai compris pourquoi : c'est pour avoir moins de travail.
- Arthur
- C'est vrai qu'elle se tape pas mal d'heures. Surtout qu'elle doit se lever chaque matin très tôt.
- Guenièvre
- C'est une feignasse ! D'ailleurs si vous voulez, je vous autorise à la faire fouetter. Ça la remettra à sa place.
- Arthur
- La faire fouetter ? Mais ça va pas bien !
- Guenièvre
- Ben quoi ?
- Arthur
- Chez moi, on ne fouette pas les domestiques.
- Guenièvre
- Oh, ben laissez-moi m'en occuper. Chez mon grand-père Goustan, ça se fait et j'ai l'habitude.
- Arthur
- Pas question !
- Guenièvre
- Mon grand-père dit que fouetter les domestiques, c'est le meilleur moyen de les motiver.
- Arthur
- Le meilleur moyen de motiver le personnel, c'est d'offrir des récompenses. Tiens, et si on offrait un jour de congé à Angharad ?
- Guenièvre
- Un jour de congé ? Mais pour quoi faire ?
- Arthur
- Je sais pas... Par exemple pour lui permettre de passer du temps avec Perceval.
- Guenièvre
- Ah, c'est vrai que vous aimez bien pousser votre ami Perceval dans les bras de ma suivante.
- Arthur
- Heu, non...
- Guenièvre
- Ne niez pas, ça se voit ! Mais vous avez beau pousser le seigneur Perceval, leur histoire n'avance pas.
- Arthur
- Justement, figurez-vous que j'en ai appris une bien bonne : Perceval va s'inviter dans la chambre d'Angharad la nuit prochaine.
- Guenièvre
- Hein ? Mais ils ne sont pas mariés !
- Arthur
- S'ils s'aiment...
- Guenièvre
- Ah non ! Moi j'ai attendu le mariage ‒ d'ailleurs je vous signale que ça y est, on est marié, on a le droit, on peut même avoir des enfants...
- Arthur
- Angharad est une domestique, on n'a pas besoin de se marier pour culbuter les domestiques !
- Guenièvre (comme un peu déçue)
- Ah ouis, c'est vrai.
- Arthur
- Donc on lui offre son dimanche ?
- Guenièvre
- Oui, après tout Père Blaise nous avait dit, une fois, qu'on ne doit pas travailler le dimanche.
- Arthur
- Nan mais encore une fois c'est pas valable pour les domestiques ! (Réfléchissez, si personne ne travaille le dimanche, on serait bien embêté !)
- Guenièvre
- D'accord, mais si elle se montre insolente, vous me le dites, je la confie à mon grand-père.
5. INT. TAVERNE ‒ SOIR
Perceval raconte ses « exploits » à Karadoc.
- Perceval
- ... et ensuite, j'ai toqué à la fenêtre. Eh bien elle m'a répondu : pas cette nuit, demain je dois me lever à l'aube, je travaille ! » Et elle m'a pas laissé entrer.
- Karadoc
- Ah, je vous avais prévenu : avec les femmes, il faut toujours s'attendre à de mauvaises surprises. C'est parce qu'elles sont moins intelligentes que les hommes.
- Perceval
- Angharad, non, elle est plutôt brillante !
- Karadoc
- Ah bon ?
- Perceval
- Vous, votre référence, c'est Mevanwi, alors forcément, ça fausse le jugement. De toute façon c'était vrai : le roi m'a confirmé qu'elle se lève tôt chaque matin.
- Karadoc
- Ben oui, c'est une domestique. Vous avez pas de domestique, vous ?
- Perceval
- Ben, il y a bien Angharad, mais c'est pas ma domestique, c'est celle de la reine. Et si on se marie, je pense pas qu'elle deviendra ma suivante. Si ?
- Karadoc
- En tout cas c'est drôlement compliqué, votre méthode.
- Perceval
- J'ai fait exactement comme dans la chanson du troubadour, je vois pas pourquoi ça foire.
- Karadoc
- J'ai jamais eu besoin de toutes ces simagrées avec Mevanwi, moi. Et puis pourquoi vous voulez faire ça à la pleine lune ?
- Perceval
- Parce que c'est dans la chanson.
- Karadoc
- Nan, la chanson parle d'un beau clair de lune. Un clair de lune, ça peut être avec un quartier.
- Perceval
- Vous croyez ? C'est vrai que ça m'arrangerait parce que j'aurais une ouverture demain soir. Il paraît que dans la nuit de demain à après-demain, elle pourra dormir plus longtemps. Je me souviens plus pourquoi, mais le roi me l'a garanti.
- Karadoc
- Mais faites attention à pas foirer vos effets !
- Perceval
- Je vais quand même pas faire une répétition ?
- Karadoc
- Et pourquoi pas ? Venec laisse toujours deux ou trois de ses filles à la taverne, vous avez qu'à répéter avec l'une d'elles.
- Perceval
- Ah, pas bête !
6. INT. CHAMBRE MITEUSE À LA TAVERNE ‒ SOIR
Une jeune fille pauvrement vêtue est assise sur le lit. Elle attend, le regard vide et résigné, lasse, la tête basse. Soudain, on toque à la fenête. La jeune fille regarde puis, sans doute par habitude des clients détraqués, baisse à nouveau la tête et attend. Perceval rentre laborieusement par la fenêtre, manque de se casser la figure, mais se reprend in extremis. Il se retourne et va chercher un oud qu'il avait laissé de l'autre côté. Portant le oud d'une main, il se tourne vers la fille.
- Perceval
- Ouais, alors je sais que vous comprenez pas la langue, mais ça fait rien, faites comme si de rien n'était comme d'habitude.
- La fille (très bas)
- Oui monsieur.
- Perceval
- Ah, vous me comprenez ?
- La fille (de même)
- Oui monsieur.
- Perceval
- Vous êtes pas irlandaise ou je sais pas quoi ?
- La fille (de même)
- Non monsieur.
- Perceval
- Bon, alors faisons ce qu'on a à faire, et puisque vous parlez breton, vous me direz à la fin si je m'y suis bien pris.
Perceval déclame de la poésie en ponctuant chaque vers par un accord ‒ toujours le même accord, le seul qu'il sait jouer.
- Perceval
- Angharad, la première fois que je vous ai vue,
J'ai cru que j'avais la berlue
Et je suis devenu muet comme une tortue.
Moi qui fréquentais les cagaudes de la taverne je ne les vois plus,
Je ne rêve que de vous avec un chapeau pointu,
Vous êtes belle comme une sirène vue du dessus, ...FERMETURE
7. INT. CHAMBRE MITEUSE À LA TAVERNE ‒ ENSUITE
Perceval termine son poème, toujours en scandant chaque vers par le même accord.
- Perceval
- ... Je vous aime le lundi,
Je vous aime le mercredi,
Je vous aime le jeudi,
Je vous aime le vendredi,
Je vous aime le samedi,
Et les jours que j'ai oubliés aussi.
Angharad, je vous aime, eh oui.
- Perceval
- Alors, vous en pensez quoi ? C'est pas trop littéraire ?
La fille se lève timidement puis se réfugie dans les bras de Perceval.
- Perceval
- La vache, c'est puissant ce truc là !
- Perceval
- Eh ben, ça vous fait pleurer ?