3 CORS
1. INT. SALLE DE LA TABLE RONDE ‒ JOUR
Le roi Arthur tient une réunion avec ses principaux ministres, les seigneurs Lancelot, Léodagan et Calogrenant, ce dernier qui vient juste d'arriver et s'installe, puis déroule une carte.
- Arthur (à Calogrenant)
- Alors ? Vous avez centralisé les renseignements de nos éclaireurs ?
- Calogrenant
- Tout est sur cette carte. Je vous fais le topo ?
- Arthur
- Allez-y.
- Calogrenant
- Les Saxons ont débarqué ici avant-hier et ont remonté la vallée, là. Au passage, ils ont détruit ces deux villages.
- Lancelot
- Détruit comment ? Juste les maisons, ou aussi les champs ?
- Calogrenant
- Ils ont tout brûlé, maisons, champs, même le petit bois à côté.
- Léodagan
- Ah, ça, c'est pas des rigolos.
- Arthur
- Ensuite ?
- Calogrenant
- Ils ont atteint la lisière de la forêt, ici, juste avant la nuit. Les éclaireurs les ont observés, ils semblent se préparer à la bataille.
- Lancelot
- Le terrain n'est pas très bien choisi.
- Calogrenant
- Justement, il y a une embrouille.
- Arthur
- Un piège ?
- Calogrenant
- Oui. Les éclaireurs ont noté la présence de deux colonnes de reconnaissance. Une de ce côté, qui s'est avancée la nuit jusqu'à cette colline, et une deuxième de l'autre côté, jusqu'à ce point.
- Lancelot
- Comme s'ils préparaient un encerclement...
- Arthur
- Vous avez raison, seigneur Lancelot. Ils nous attendent là, où ils ont massé le gros de leurs troupes en apparence, et dans un endroit mal défendu qui plus est, mais à tous les coups ils ont profité de la nuit pour préparer un encerclement. Si on fonce vers eux, on va droit dans un piège.
- Calogrenant
- C'est aussi ce que je pense.
- Léodagan
- Et si on fonçait quand même dessus ?
- Calogrenant
- Aucune chance, ils sont deux fois plus nombreux.
- Arthur
- C'est leur nouveau chef, là, je ne sais plus son nom... Un stratège qui a fait ses classes dans l'armée romaine.
- Lancelot
- Controns-le ! Voici ce que je propose.
OUVERTURE
2. INT. SALLE DE LA TABLE RONDE ‒ JOUR
Lancelot explique sa stratégie aux autres chevaliers.
- Lancelot
- Faisons-leur croire qu'on est tombé dans le panneau. Une troupe réduite de cavaliers s'avance, entourée de nombreux chevaux montés par de faux cavaliers (fabriqués comme des épouvantails) portant des drapeaux. Ils croiront que c'est le gros de notre armée qui les attaque.
- Arthur
- Une sorte de diversion ?
- Léodagan
- Je suis volontaire. Après tout, c'est mes terres qu'ils ont envahies, c'est mon devoir de mener la troupe d'assaut.
- Lancelot
- Très bien. Pendant ce temps, on place nos archers ici, sur la butte aux cerfs, et le gros des cavaliers là, sur la colline du pendu. Au signal, les cavaliers du premier groupe ‒ le groupe Léodagan ‒ battent en retraite, mais en laissant s'avancer les chevaux avec les faux cavaliers, ainsi ils auront le temps de s'enfuir. Forcément, les Saxons vont nous poursuivre, pour exploiter ce qu'ils croiront être une victoire. Et en suivant les cavaliers du seigneur Léodagan, ils passeront nécessairement par le gué de la rivière, ici.
- Arthur
- Ça fait loin, les cavaliers du premier groupe devront avoir pris une sacré avance !
- Lancelot
- Pour retarder les Saxons, on placera un faux campement juste devant la rivière. Justement, ça achèvera de les persuader qu'on est en train de décamper. Bref, à la sortie du gué, bam ! on fait donner les archers, ensuite la cavalerie ‒ la vraie ‒ descend de la colline et les attaque par l'arrière. Évidemment, ils vont demander le renfort des deux unités chargées de nous encercler. Celles-ci vont donc refluer par ici et par là, où on aura placé l'infanterie pour les anéantir. Si on organise ça discrètement, ce sera un massacre.
- Arthur
- Pas mal !
- Calogrenant
- Moi ça me va.
- Léodagan
- Je refuse de suivre ce plan !
- Arthur
- Qu'est-ce qui vous arrive ?
- Lancelot (vexé)
- C'est parce que c'est moi qui l'ai proposé ?
3. INT. SALLE DE LA TABLE RONDE ‒ JOUR
La conversation se poursuit. Léodagan est sommé de s'expliquer.
- Arthur
- Alors quoi ? Ce plan m'a l'air très bon !
- Calogrenant
- Moi, je vois pas de problème.
- Arthur
- Il y aura toujours une ou deux embrouilles avec la signalétique, mais ça ne change rien au plan.
- Léodagan
- Je refuse de battre en retraite ou de fuir.
- Arthur
- Quoi ?
- Léodagan
- Oui, le plan du seigneur Lancelot m'oblige à battre en retraite, à fuir et, comment il a dit ? ah oui : à décamper. Jamais !
- Lancelot
- Dans ce cas, ne menez pas le groupe d'assaut. Vous resterez avec le gros de la cavalerie sur la butte aux cerfs.
- Léodagan
- C'est la Carmélide qui est envahie ! Donc je me bats devant !
- Lancelot
- Mais vous allez pas fiche en l'air mon plan juste parce que vous refusez de reculer !
- Arthur
- Et puis c'est pas vraiment une retraite, c'est pour manœuvrer. Une fois les Saxons vaincus, on les rejettera à la mer.
- Léodagan
- Je ne céderai pas un pouce de terrain de ma Patrie, de la terre de mes ancêtres !
- Calogrenant
- Soyez pas tétu, puisqu'on vous dit que c'est pour manœuvrer.
- Léodagan (à Calogrenant)
- Si c'était la Calédonie qu'ils avaient envahie, ces cons, vous décamperiez ?
- Calogrenant
- Sauf qu'ils ont pas envahi la Calédonie.
- Léodagan
- Vous ne voulez pas répondre ?
- Calogrenant
- Non, mais... Ouais, bon, d'accord : s'ils envahissaient mon pays, ouais, je refuserais de reculer.
- Arthur
- Quoi, vous aussi ?
- Calogrenant
- Nan mais c'est normal. Si c'est mon pays natal, je ne cède pas un pouce de terrain.
- Lancelot
- Mais c'est con, ça empêche de maœuvrer.
- Calogrenant
- C'est une sorte de tradition militaire.
- Léodagan
- Voilà, bien dit ! Et j'estime qu'on ne doit pas toucher aux traditions !
- Lancelot
- Mais vous ne comprenez pas que la guerre a considérablement évolué, depuis une génération ! Vos traditions sont dépassées. La guerre moderne demande de nouvelles tactiques.
- Léodagan
- Et pourquoi donc ?
- Arthur
- C'est vrai qu'on ne fait plus la guerre comme du temps de nos parents et de nos grands parents. Avec les nouvelles technologies, la guerre est devenue industrielle.
- Lancelot
- Parfaitement. À présent on utilise le trempage de l'acier pour les épées, la corde à arc est métallique, l'infanterie dispose d'arbalètes. Ça n'a plus rien à voir avec la guerre d'il y a trente ans, il faut se mettre à la page !
- Calogrenant
- Je vois pas le rapport avec le fait de reculer.
- Léodagan
- De toute façon, les traditions, c'est sacré ! Si vous ne respectez pas les traditions locales, ne vous étonnez pas si la fédération de Bretagne bat de l'aile.
- Arthur
- Mais si on reste fidèle aux vieilles traditions, ne vous étonnez pas que la Bretagne devienne bientôt un pays anglo-saxon...
4. INT. SALLE DE LA TABLE RONDE ‒ JOUR
Le père Blaise a rejoint le groupe.
- Père Blaise
- J'ai peut-être une solution à votre problème.
- Léodagan
- Vous ? Vous êtes devenu expert en stratégie militaire, maintenant ?
- Arthur
- Écoutons-le, ça ne coûte rien.
- Père Blaise
- J'ai un plan pour chasser les Saxons, mais je ne sais pas si ça va vous plaire.
- Léodagan
- Ça dépend. Ça nécessite de battre en retraite ?
- Père Blaise
- Heu... non, ça n'a rien à voir.
- Léodagan
- Alors j'écoute.
- Père Blaise
- Bon. À votre avis, pourquoi les Saxons ont débarqué ? Pour conquérir la Bretagne ?
- Arthur
- Non, ils viennent juste piller.
- Père Blaise
- Exactement. Ils ne sont pas là pour agrandir leur territoire, juste pour piquer notre pognon. Du coup la solution est simple : donnons-leur du pognon, ils partiront.
- Calogrenant
- Quoi ?
- Léodagan (en même temps)
- Hein ?
- Arthur
- Vous voulez qu'on achète leur départ ?
- Père Blaise
- Exactement.
- Lancelot
- Mais qu'est-ce qui nous garantit qu'ils partiront, une fois qu'on leur aura donné l'argent ?
- Léodagan
- C'est vrai que moi, à leur place, je prendrais le pognon et ensuite, je poursuivrais le pillage.
- Père Blaise
- Ce qu'il faut, c'est leur donner une très forte somme. Deux fois plus que dans leur rêves les plus fous. Là, ils n'auront plus de raison de risquer leur peau : primo ils sont riches, secundo le pillage des alentours leur rapportera des clopinettes à côté de ce qu'on leur aura donné.
- Arthur
- Et vous pensez à quel genre de somme ?
- Père Blaise
- Dix pourcents du budget de Kaamelott.
- Arthur
- Quoi ?
- Léodagan
- Dix pourcents ? Heu... ça représente quoi ?
- Calogrenant
- Trois coffres remplis de pièces d'or, je dirais.
- Père Blaise
- Pas tout à fait, plutôt deux et demi.
- Arthur
- Mais ça va nous ruiner !
- Père Blaise
- Justement, pas autant qu'une invasion de Saxons. Faites le compte ‒ je l'ai fait. Entre les soldes de la troupe, leur ravitaillement, le prix des armes (des armes modernes, comme l'a rappelé le seigneur Lancelot, donc coûteuses), le manque à gagner des journées de guerre et les réparations de guerre (il va falloir reconstruire les deux villages), il y en a pour un peu plus de dix pourcents de notre budget. Du coup, on y gagne.
- Lancelot
- C'est vrai que ça se tient. Après tout, notre objectif est de chasser les Saxons, quelle importance la façon dont y s'y prend ?
- Léodagan
- Mais on ne va même pas se battre ?
- Père Blaise
- Hé non : aucun risque de mourir prématurément, encore un avantage.
- Calogrenant
- L'inconvénient, c'est que ça va les encourager à revenir l'an prochain.
- Père Blaise
- Eh bien on recommencera.
- Arthur
- Quoi, tous les ans ? C'est comme un tribut, alors ?
- Père Blaise
- Oui. Mais c'est ce que fait le pape et il s'en porte très bien.
- Lancelot
- Le pape verse un tribut aux Saxons ?
- Père Blaise
- Aux Vandales. Mais c'est pareil. En plus, à force de palper, ils vont s'embourgeoiser et se civiliser, et dans vingt ans on n'en entendra plus parler.
- Arthur
- Quand même, ça me plaît pas...
- Léodagan
- Je veux me battre ! C'est le sol sacré de ma patrie qui est envahi, je refuse de m'abaisser à payer leur départ.
- Calogrenant
- Je veux bien croire que ça ne soit pas si cher que ça, mais c'est une question d'honneur : en cas d'invasion, on ne va pas s'aplatir.
- Lancelot
- Au moins, avec mon plan, on peut en zigouiller suffisamment pour qu'ils n'aient plus envie de revenir avant vingt ou trente ans.
- Arthur
- C'est juste. Bon, donc on adopte le plan du seigneur Lancelot ?
- Calogrenant
- Pour moi c'est OK.
- Léodagan
- Ah non ! Je refuse de battre en retraite !
- Arthur
- C'est ça ou le plan de père Blaise.
- Calogrenant (à Léodagan)
- Enfin, soyez raisonnable, on ne va quand même pas baisser nos frocs devant les Saxons à cause de vous !
- Léodagan
- J'exige qu'on respecte les traditions locales de la Carmélide. Les traditions, c'est ce qui fait notre identité !
FERMETURE
5. INT. CHAMBRE D'ARTHUR ET GUENIÈVRE ‒ SOIR
Le roi se met au lit, où l'attendait la reine.
- Guenièvre
- Alors, ça a donné quoi, votre conseil de guerre ?
- Arthur
- Ça s'est mal passé.
- Guenièvre
- Ah bon ?
- Arthur
- J'ai engueulé votre père et il m'en veut à mort.
- Guenièvre
- Oh, ce n'est pas la première fois.
- Arthur
- Je l'ai viré de son poste de ministre des armées.
- Guenièvre
- Oh, le pauvre, il va s'ennuyer.
- Arthur
- Non, non, je lui ai confié un autre ministère, et c'est surtout pour ça qu'il m'en veut à mort.
- Guenièvre
- Ah, lequel ?
- Arthur
- Il est désormais ministre du folklore, des coutumes et des traditions.